jeudi 4 juin 2009

Collateral (Michael Mann) : Le Coyote, le sublime et l'ahurissement


Le taxi arrive en périphérie de L.A. En pleine course contre la montre, Max, le chauffeur, et Vincent, le tueur, se retrouvent l'espace d'un instant dans une banlieue
quelconque et pourtant improbable, qui apparaît comme l'autre versant du désert, urbain. Temps mort. Las, un peu paumés, les héros croisent alors des coyotes qui errent dans ce territoire. Croisement des regards entre un des animaux et les personnages, puis la voiture repart, doucement, rejoindre le reste du film. Cette faille dans la narration, on la retrouvera deux ans plus tard dans Miami Vice, avec l'échappée vers la Havane.
Scène proprement ahurissante pour le spectateur, elle l'est tout autant pour Max et Vincent. Si on peut apercevoir plusieurs détails, comme la teinte grise du coyote qui renvoie aux cheveux gris de Vincent, qui ferait de l'un le symbole de l'autre (Vincent est un coyote, un charognard), il apparaît sans doute quelque chose de plus profond, ou disons, plus sourd, qui hante sans doute le cinéma américain. D'abord, le coyote apparaît ici dépossédé de son territoire, le sable et les rochers du désert californien ne sont désormais plus que des poubelles et du bitume. Il y a là quelque chose de profondément triste. Mais aussi, c'est une rencontre, une irruption du sauvage dans la civilisation. Et cette irruption rend les personnages ahuris, K.O. Le regard dans le vide, Max redémarre mais est ailleurs, avec à l'arrière un Vincent, lui-même «mesmérisé », sa tête se balance légèrement au rythme des amortisseurs sur la route, comme si son corps, tellement vidé, sans force, était abandonné par son esprit, n'était plus qu'un pantin désarticulé. À ce moment du film, plus rien n'a d'importance. C'est une des formes du sublime.
Le sublime coyote agit ici alors comme un révélateur. Révélateur de l'inutilité du trajet, et surtout d'un état de somnambulisme permanent dans lequel sont pris les habitants de la ville : Max qui se perd dans son rêve de carte postale pour supporter la routine de son métier, Annie qui est absorbée par son travail, ne pense qu'à ça au point de passer ses nuits au bureau, et Vincent, le tueur qui s'est condamné à vivre sans contact humain (il tue tous ceux qu'il rencontre, même ceux qu'il apprécie comme le trompettiste et, on s'en doute, Max lorsqu'il n'aura plus besoin de lui).
Ils semblent tous deux épuisés, mais cela ne durera que quelques minutes. L'objectif reprend ses droits. Retour en centre-ville, retour à l'action, au rendement et à la vitesse, Max et Vincent auront au moins eu la chance de se perdre un peu en chemin.

kc

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