samedi 27 décembre 2008

Prince des Ténèbres (Prince Of Darkness, 1987, John Carpenter) : Principe d'incertitude


La plongée dans les limbes de Catherine
(extrait issu du DVD © Studio Canal)


AVERTISSEMENT : Si vous n'avez pas vu le film, l'article révèle sa fin, dont une partie est illustrée dans la vidéo.


Dans Le Prince des ténèbres, John Carpenter fait cohabiter la religion et la science, non pas comme deux systèmes opposés, s'excluant l'un l'autre pour expliquer l'univers, mais comme deux outils complémentaires. La thèse du film est celle-ci : "Il est au cœur des choses", "il", c'est le mal, "le cœur des choses", les particules. Pour cette raison, l'Église, via le prêtre Loomis, invite des chercheurs en physique moléculaire, pour l'aider à combattre le mal, reclus dans un récipient dont l'étanchéité n'est plus assurée. Bien sûr, John Carpenter oblige, l'un et l'autre se révéleront inefficaces. Un détail est à cet effet intéressant : le héros, Brian, lorsque tous les personnages sont rassemblés pour comprendre ce qui se passe, manipule une carte à jouer, essayant de reproduire un tour de magie qu'il n'arrivait pas à effectuer, et qu'il réussi à l'énoncé de son hypothèse. Ce tour de magie réussi, c'est, nous dit peut-être Carpenter, la victoire du "truc", du trucage, de la manipulation qui cache "le cœur des choses", et qu'il faut dévoiler par la science pour effacer la superstition [1]. Mais c'est surtout, dans cette tentative réussie d'un tour de magie qui surprend même son auteur, la victoire malgré tout de l'effet, qui nous surprendra toujours, quelque soi notre rapport au monde, même ultra-rationaliste. Nous restons de grands enfants, éternellement émerveillés devant la magie, malgré la connaissance (ici du subterfuge). C'est en cela que la religion (fausseté de la croyance) et la science (qui n'empêche pas l'illusion) sont en échec dans le film, c'est intrinsèque à l'homme.
Face donc à l'échec de la foi et de la science, c'est seulement le courage d'un personnage, Catherine, qui sauvera l'humanité, via un sacrifice dont on ne sait pas s'il la conduira vers la mort, ou vers une damnation éternelle : Elle se jette sur la réincarnation du prince des ténèbres, qui face à un miroir (passage entre les deux mondes), tente de ramener son père sur Terre. Catherine se retrouve alors de l'autre côté du miroir, dans l'anti-monde [2], avec le prince des ténèbres et son père, l'anti-Dieu. On assiste ici à une image traumatisante : Catherine qui tend son bras vers la surface du miroir pour rejoindre son monde, espérant qu'à son tour on viendra la secourir, tandis qu'elle est entraînée vers le fond avec les monstres. Mais en réponse à cet espoir, le père Loomis brise le miroir pour empêcher définitivement le retour de l'anti-Dieu sur Terre, et donc le possible sauvetage de Catherine, au grand désespoir du héros. La question que pose le cri de Brian, face au miroir brisé, et le long silence qui lui succède, c'est : "est-ce qu'une humanité qui est prête à abandonner un des siens dans les ténèbres, pour sa propre survie, mérite cette survie ?" À la vision de la scène suivante, le dialogue entre le prêtre et le scientifique, le professeur Birack, on peut en douter tant la vanité du premier est un peu écœurante ("Je l'ai arrêté. Le futur est sauf maintenant"). À quel prix ? Et pour quel futur ?[3]

kc

[1] Il faut entendre comment Carpenter explique la Bible, en faisant du Christ un extraterrestre venu sur Terre, faisant d'une métaphysique quelque chose de très concret, et le mal une force subatomique contenu dans la matière, dans un état superposé.
[2] Ici aussi, Catherine se retrouve condamnée à errer dans les limbes du hors champ, monde parallèle à celui des humains. Catherine, dont l'absence dans le champ dans la séquence finale se fait durement ressentir. Le miroir comme passage entre le monde des vivants et des morts et une citation avouée de celui de Cocteau.
[3] Le dernier message vidéo venant du futur laisse à penser que Catherine, debout devant l'église, est devenue la nouvelle incarnation de l'anti-Dieu.