samedi 17 avril 2010

[Chronique DVD] Casanegra (2009, Nour-Eddine Lakhmari)


Casanegra est un "buddy movie" à l'américaine qui prend place dans la ville de Casablanca. Le film commence par l'image de deux hommes qui fuient le fond de l'image, poursuivis par des policiers. C'est Adil et Karim dont le film raconte l'histoire que l'on prend en cours, histoire qui prend la forme d'un long flashback. Adil et Karim, deux paumés représentatifs d'une jeunesse sans avenir, comme l'annonce un plan au début du film où Karim passe derrière un panneau "Défense de jeter les ordures", le fil conducteur du film. Tandis que Karim deale des cigarettes au black en essayant de maintenir une certaine classe de dandy (costard noir, cravate dénoué, clope au bec comme si sorti d'Ocean's Eleven) dans cette ville morte, Adil se maintient en vie grâce à un rêve de carte postale, représentant une idyllique ville suédoise, Malmö, promesse de bonheur. L'un veut tenir, l'autre veut fuir. Adil et Karim se mettent à chercher des combines plus rentables pour s'en sortir, et fréquentent un cercle fait de personnages improbables qui les entraîne dans un engrenage infernal.

L'absence de perspective, thématique centrale du film, se retrouve dans le film par de nombreux plans des deux héros filmés en contre-plongées, entourés par les immeubles assez hauts de Casablanca, qui provoquent une sensation d'étouffement. La rue est un long corridor dont ils ne peuvent s'échapper. Si l'espoir réside dans la fuite rêvée mais impossible en Suède, les personnages font du surplace et le film prend la forme d'une déambulation, souvent nocturne, dans une ville fantôme dont les habitants logent dans les coins, dans les poubelles, laissant les grands boulevards déserts. Les personnages tournent en rond, entre ennui et combine. On pense évidemment à Scorsese, notamment Mean Streets, sauf qu'au lieu de voir dans la ville une possibilité d'ascension sociale, même si c'est par la violence et le délit, c'est-à-dire par le potentiel qu'offre une ville chez Scorsese (et d'autres), trop puissante, trop énergique, dévorante (c'est le pacte faustien que signe le héros avec la ville) et que l'on ne peut dompter, ici la ville est dévitalisée, sans qualités, sans potentialités. Au final, la seule possibilité est de changer de rêve quand on s'aperçoit que le premier n'est pas réalisable car les héros ne peuvent même pas, à l'inverse des films de Scorsese, se brûler les ailes dans une réussite incontrôlable, mais seulement stagner sur place et attendre... rien.

Le film n'évite pas certains poncifs qui virent à la caricature (les Français notamment où encore Zrirek, le Joe Pesci marocain, jouer Joe Pesci après Pesci, c'est dur) mais transpire ici et là des séquences improbables : le rêve d'Adil qui surgit au coin de la rue, la journée de travail de Karim, véritable descente aux Enfers, une séquence en montage alterné qui montre la tristesse de chaque personnage au même moment, la séquence du karaoké ou plus simplement des vues de Casablanca, délabrée, vide, jusqu'à ce que l'on aperçoive les dormeurs dans les détritus. Certes la parabole est simple (le champ/contrechamp entre d'un côté Karim et son père et de l'autre le camion-poubelle), mais la récurrence et l'impression qui résulte des séquences où les personnages trouvent du réconfort dans les recoins, nouveaux lieux de vie en fait, ainsi que le rythme général assez lent malgré des séquences nerveuses, créént par moment une sensation de fantastique (où sont les autres hommes ?) qui vient combler l'ennui du réel, autrement dit le désespoir.

Image et son : le film bénéficie d'un beau transfert, qui rend hommage à la belle photo du film. Notons que l'éditeur a pris soin de sous-titrer certains panneaux d'affichage et tags qui permettent d'appréhender le rapport individus/détritus qui transpire de la ville. La bande-son est claire est profonde, il suffit d'écouter la séquence dans la boîte de nuit pour s'en convaincre.

Bonus : Un making of promotionnel, un clip musical et une bande-annonce. Le making of, lui aussi calqué sur une forme américaine, reste à un niveau promotionnel et assez vide, mais surgit ici et là des références explicites intéressantes (Fritz Lang) et implicites (on est pas surpris de voir un bref passage du film dans ce making of monté avec la musique de Collatéral). Dommage que le montage de la B.A. laisse penser que l'on va avoir à faire à une production Europa Corps. Le film mérite mieux que ça.


Casanegra. Dvd édité par Bodega Films
Sortie le 07 avril 2010
kc