mercredi 12 mars 2008

John Rambo (Sylvester Stallone, 2008) : Un film d’auteur

john rambo cinema de genre
« Fuck the world. » – John Rambo

Passé

Dans Rambo (First Blood), le héros, victime du système, est traqué comme une bête fauve, puis est finalement approché comme un animal apeuré, amadoué par son ancien colonel, seul visage connu de l’ancien soldat devenu, un temps, psychopathe. Un dérapage donc : le comportement xénophobe (crainte de l’étranger) du sheriff, va déclencher le mécanisme (réflexe) ancré dans Rambo : la machine de guerre se met en marche et ne s’arrêtera que si la mission (détruire la ville du sheriff) est menée à bien, ou si sa réserve d’énergie arrive à terme. Au final, Trautman désamorcera in extremis la bombe, évitant un massacre.

26 ans plus tard. À la fin de John Rambo, le héros contemple, du haut de la colline, le spectacle des morts et des quelques survivants. Tandis que ces derniers s’étreignent et le saluent de loin, Rambo reste impassible, stoïque, « totemisé ». Cette fois-ci, il a mené sa mission à bien. Autre différence : il est intervenu en son nom (ce n'est pas une réaction comme dans First Blood). C’est-à-dire aussi qu’aucune idéologie n’est venue le manipuler. Ni l’armée, ni le gouvernement, et encore moins les catholiques qui viennent porter secours aux villageois : la croix que lui donne Sarah ne symbolise pas une sorte de foi qui redonnerait vie au personnage, mais un cadeau inerte à ses yeux, qui n’a qu’une valeur personnelle (attirance suggérée entre les deux personnages) : « J’ai tué trop de gens, Dieu ne peut rien y changer ». Dieu est donc ici impuissant. « Rentrez chez vous. Profitez de la vie. »


Présent

Stallone continue sa politique de réappropriation (réhabilitation) de ses personnages (engrangée avec Rocky Balboa). Un temps symbole de l’Amérique reaganienne et arrogante (Rambo 2 et 3), Rambo est devenu une figure crépusculaire, usée par le temps. Le héros comic book des eighties devient un monstre sanguinaire : « la guerre, c’est sale », nous rappelle Stallone, et son spectacle tout autant. Véritable machine de guerre, il se replonge dans le cinéma américain des années 70 (Rambo semble insensible, déshumanisé, tel un body snatcher [1]). Il avance et tue, sans montrer de remord. Inexpressif. La violence spectaculairement jouissive des deux suites du film (et qui vont changer, pour le pire, l'image du personnage de Rambo, bien plus proche à l’origine de Robert de Niro dans Voyage au bout de l’enfer que du héros bodybuildé des séquelles) devient une violence insoutenable : décapitation, éviscération, membres coupés.
L’identification devient plus difficile : Rambo n’est plus en posture de victime (First Blood), et il va trop loin (donnant-donnant avec les soldats de la junte birmane). Stallone pose viscéralement la question de la fin qui pourrait justifier (rendre juste), ou non, tous les moyens ? Car à cette question philosophique (éthique et morale) qui bloque souvent sur le cas « particulier » de la guerre, Stallone répond en image, retourne le spectacle et explose le genre film de guerre. Comme dans La Horde sauvage, la violence englobe tout, transcende, rend fou (les soldats défoncés et saouls, médication requise pour accomplir l’horreur). À la différence des soldats birmans, Rambo n’est pas drogué, ni saoul, il bien conscient des actes qu’il commet, d’où sa difficulté à s’engager (il sait où cela va le mener, la difficulté à revenir de la sauvagerie – ne pas s’y complaire » –, ce que découvre le chef de la mission humanitaire, Burnett, donneur de leçon au début, qui veut tuer son tortionnaire à coup de pierre sur le crâne, à la fin). Vouloir changer les choses a un prix [2].


Futur ?

Dans une séquence émouvante, Rambo se remémore le passé : flash-back composé d’extraits (plutôt du sampling, montage a priori désordonné, vertigineux, fiévreux), en noir et blanc, des trois premiers Rambo, dont un extrait de la fin originelle de First Blood : un plan de Trautman tirant sur Rambo, sur l’ordre de ce dernier (« Vous m’avez fait, à vous de me défaire. »). Rambo rêve sa mort (qui a été tournée en 1982 mais non utilisée). Une mort qui aurait due être, qui induirait aujourd’hui que les suites ne seraient que des erreurs de l’Histoire. Avec ce flash-back, Stallone réintègre intelligemment les deux séquelles dans l’histoire du personnage, dans le récit, comme des traumatismes, mais aussi dans l’histoire du cinéma en assumant ses « erreurs » : figure instrumentalisée, figure de propagande, bannie, cataloguée, caricaturée. On s’est servi de lui (pour gagner les guerres dans la diégèse, pour défendre une politique impérialiste dans la réalité).

Le film se termine sur John Rambo, de retour aux États Unis. Stallone rejoue, à l’identique, les premiers plans de First Blood : cadrage similaire, même musique, mêmes vêtements, même posture (le baluchon par dessus l’épaule, vagabondant). Seule différence : le temps qui a passé. Le visage est déformé par la vieillesse, les tempes sont grisonnantes. Un cycle se termine. Plus de croyance, plus de mensonge, plus d’idéologie, plus d’instrumentalisation (« je n’ai pas tué pour mon pays, mais pour moi »). Et l’énergie (la fureur) de Rambo semble enfin épuisée. Ne reste que la nostalgie du temps (26 ans) qui s’est déroulé entre ces deux plans. Temps écoulé pour le personnage mais aussi pour l’acteur/réalisateur. Vieilli et abîmé, ayant commis des erreurs, mais toujours en vie. C’est ce qui fait la beauté du film.

Karim Charredib


1. Voir Le Cinéma américain des années 70 de Jean-Baptiste Thoret, pour une analyse de la figure du body snatcher comme forme alternative de la dépense énergétique dans la violence.

2. Dialogue entre Rambo et Burnett :
« – Are you bringing in any weapons ?
Of course not.
You’re not changing anything. »