mercredi 6 février 2008

Filatures (Yau Nai Hoi, 2007) : Apprendre à regarder de biais.

Filatures Yau Nai HoiLe film met en scène le jeu du chat et de la souris, avec Hongkong comme immense plateau de jeu. Le but : voir sans être vu. La méthode : la plus archaïque, la filature. Chaque camp cherche à découvrir l’autre (ce qu’il fait, où il va, le temps qu’il met). Réversibilité (le chef de la police sort un sac Lacoste, alors que le chef des voleurs porte un pull de la même marque), les flics surveillent les voleurs dans la préparation de leur méfait, tandis que les gangsters surveillent les policiers pour préparer leur casse (le timing de la ronde des policiers « de proximité »). Pour cela, on joue à faire semblant : semblant d’être un flâneur, des amoureux, un vendeur à la sauvette, tous prêts à se transformer en quelques secondes, tel Arturo Braquetti, en d’autres personnages pour ne pas se faire griller sa couverture. La règle d’or : ne pas susciter la suspicion (« tu as l’air tellement cruche que personne ne se doutera que tu es flic » lance Le Chien, pour signifier son recrutement à Piggy). Il faut créer son (ses) personnage(s) avec des tics, des stéréotypes : la fatigue, la lassitude, la déambulation, la bouderie. Surtout rester dans la doxa pour ne pas se faire remarquer, tout en regardant du coin de l’œil (jamais directement). Tout est dans le détail, et avoir un comportement normal, c’est par exemple utiliser un parapluie quand il pleut (dans le film, celui qui cache sa tête dans son blouson devient suspect). Et s’il n’y a pas de suspect (qui est qui ?), alors tout le monde est soupçonné, et seuls sont floués les vrais promeneurs ignorants (ainsi la femme qui veut négocier le prix d’un objet à un des policiers en filature, qui se fait passer pour un vendeur).

La surveillance induit la passivité, la frustration de ne pas passer à l’acte. Il faut laisser faire, car la surveillance a lieu en amont du crime. Idéalement, prendre sur le fait. Concrètement, intervenir après que le criminel a dégainé mais avant qu’il tire, (voir la séquence du braquage avorté à la dernière seconde, où les policiers ne peuvent arrêter les voleurs puisque le vol n’a pas été commis). Perfidie de ce système basé sur l’autorégulation (je sais que je suis surveillé). Laisser donc faire le crime, pour ensuite accuser et condamner (tout le problème éthique de Piggy, frustration de celle qui n’arrive pas à laisser faire sans agir, par exemple, l’impossibilité d’aider l’homme qui se fait tabasser dans la rue, sous peine de se faire découvrir). À l’inverse ne pas tomber dans la contemplation, comme celle qui interrompt la rixe entre les truands (qui prend la forme d’une femme qui se déshabille devant sa fenêtre), c'est-à-dire ne pas s’abandonner dans la fascination du spectacle.
Eye in the Sky, leitmotiv et titre original du film, renvoie à l’œil de Dieu, ou à celui de Mabuse. Un regard puissant, qui voit tout d’en haut (global). Pour le voir, il faut oser lever la tête or, dans la rue, il faut regarder où l'on marche. Tout voir, tout savoir clairement, sans se faire voir, certes, mais d’en bas, cela n’est possible que de biais.

Karim Charredib


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