lundi 16 mars 2015

The Leftovers (Tom Perrotta, Damon Lindelof, 2014)



Dans la série The Leftovers, 2% de la population disparaît, comme ça, de manière absurde. Dans la première séquence du premier épisode, la disparition se fait hors-champ, quand les personnages ont le dos tourné. La disparition est elle-même invisible, irreprésentable, comme si, hors de vue de la caméra, l'existence se dissout. Après la séquence d'introduction, la série nous projette 3 ans plus tard (le même temps qui nous sépare de la publication du dernier article sur ce blog...). Le chef de la police de la petite ville fictive de Mapleton, interprété par le génial Justin Theroux, tente de gérer les habitants de la ville, tous traumatisés par cet événement impossible, surnommé le ravissement. 

L'intelligence de la série, c'est de ne pas se focaliser sur les disparus mais sur les restants. À ce titre, The Leftovers serait le contrechamp de Lost (sous-titré en français Les Disparus), dont Damon Lindelof a été co-scénariste et producteur. Le titre de la série, tirée d'un roman éponyme, le dit bien. The Leftovers, cela signifie "les restes". C'est bien là l'erreur, il me semble, de la traduction française du roman, Les Disparus de Mapleton, comme si les disparus étaient le sujet. Non. 
Autre grande force de la série : ne pas chercher à expliquer le mystère, mais à faire avec, en se focalisant sur ceux qui n'ont pas disparu donc, et comment ils tentent de "survivre" à cette absurdité. Deuil impossible, résignation, autodestruction, fuite sont autant de possibilités. La série témoigne bien d'une nation traumatisé (rappelons que les images des attentats du World Trade Center, acte fondateur d'une nouvelle ère américaine, ont pudiquement évité toutes images de victimes et de cadavres américains, comme si ceux-ci n'existaient pas) que d'une époque absurde dans sa logique politique, économique et sociale.

Mais si les disparus ne sont pas le sujet de la série, ils en sont la hantise permanente. Et cela se traduit par une mise en scène qui joue sur la profondeur de champ. Souvent, la profondeur de champ est très courte, caractéristique d'une mise en scène contemporaine. Cela se traduit par une zone de netteté entre la caméra et le sujet très courte également et un flou très prononcé. Cependant, ici, cela semble créer du sens. Les survivants, dont certains se font appelés les guilty remnants (que l'on pourrait traduire par les restes coupables), apparaissent comme des fantômes quand ils surgissent du fond de l'image, formes floues qui se matérialisent en se rapprochant de la caméra ou fantômes en devenir quand ils s'en éloignent. Le survivant n'est jamais un survivant indemne. Il porte en lui la catastrophe et la culpabilité d'avoir survécu. Dans la série, parfois (souvent), le sujet de l'image, son visage, est partiellement flou, ou encore les personnages ont du mal à cohabiter dans la netteté tellement la profondeur de champ est faible. De plus, ce rétrécissement de la zone de perception rend la vision parfois inconfortable. La zone de sécurité procurée par la visibilité, s'amenuise. Le monde apparaît rapidement incertain, flou, en proie lui-même à la disparition, comme quand on ferme les yeux en s'endormant tout doucement (d'ailleurs, le héros est somnambule et demande très sérieusement dans un épisode s'il est bien réveillé).
Avec ce flou envahissant, la frontière du réel, logique et rassurant, se rapproche de la caméra, et donc du spectateur. Au-delà, l'incertitude.

kc