dimanche 5 juillet 2009

Public Enemies (Michael Mann, 2009) : Réponse à la servitude volontaire

Composition que n'aurait pas renié Friedrich pour John Dillinger

Public Enemies raconte l'histoire du braqueur de banques John Dillinger, dans les années 30 à Chicago, poursuivi par le FBI en la personne de Melvin Purvis.

Un plan central de Public Enemies montre Bale et Depp, (Purvis, le flic et Dillinger le criminel) chacun dans un coin de l'image, se mouvant symétriquement par rapport à une ligne verticale, l'un en prison, l'autre en dehors, comme si l'un était le reflet de l'autre. De ce plan, on pourrait en déduire que Public Enemies est un remake années 30 de Heat. Pourtant à la sortie du cinéma, Dillinger apparaît comme le vrai héros et Purvis n'a jamais de part équivalente dans le film.
Car c'est qu'il n'y a pas d'équivalent à Dillinger. Figure d'une forme étonnante d'anarchie, Dillinger est la faille dans le système : De jour dans la République ("il ridiculise la justice" dit un juge lors d'un procès contre Dillinger, justice dont il échappe à chaque fois par tous les moyens possibles) au point que les passants l'acclament, qu'il devient un héros ; comme de nuit, chez les criminels (l'association des gangsters qui refusent désormais de le couvrir, car il met en péril le "business" par sa célébrité). Dillinger n'a sa place nulle part et commence à faire imploser le système qui trouve un équilibre entre le bien et le mal (Le bookmaker arrose les policiers pour être tranquille, tandis qu'en surface les gens se tiennent à carreau). Or en faisant le "mal", Dillinger devient une figure héroïque et moral qui montre la face maléfique du "bien" (Hoover qui fonde le FBI sur des bases qui mettent en danger la Liberté, Purvis au méthodes interrogatoires immorales). De plus, Dillinger en volant les banques, esquisse une forme de vengeance de la part de ceux qui se laissent faire par le système (l'action se situe pendant la grande dépression) et en quelques sortes devient le voleur qui vole les voleurs.
De Ali à Public Enemies en passant même par Révélations, Michael Mann, par le genre du Biopic retrace une histoire des Etats-Unis, transforme des défaites en victoires : ici chaque braquage devient un geste politique, un sursaut face au conformisme capitaliste (sur le conformisme, une séquence dans un cinéma est stupéfiante), et la mort, la défaite ultime, devient une évasion finale sanctificatrice. Surtout, il désigne de nouveaux héros, les vrais : ceux qui résistent, qu'on n'attrape pas ; ceux qui virevoltent, et qui font que le système n'aura jamais de prise sur eux et que la culture ne peut tout à fait s'en servir comme de modèle. Pour se rassurer, on les désigne parfois comme des fous. Ou des illuminés.
Pour cela, l'image numérique hallucinante que travaille depuis un moment Michael Mann permet de voir le monde comme il imagine que le perçoit Dillinger. Le film, comme toujours chez Mann, est "troué" de moments de sublime, d'extase contemplative, comme en vit à un moment Dillinger devant un coucher de soleil. Car les personnages de Mann sont de ceux qui savent voir (Sonny Crockett dans Miami Vice par exemple, qui regarde par la fenêtre une tempête venir au loin), ce qui replace l'action dans un univers plus grand, et les actions et motivations finalement plus modestes devant la grandeur de l'univers. Cela offre aux personnages une forme de liberté, de détachement face aux événements. En ce sens, un plan du début du film résume bien le héros "mannien" : alors qu'il va pour partir, une femme demande à Dillinger s'il ne veut pas rester à la maison. Le cadrage montre Dillinger, avec en arrière-fond le ciel, et un bout de la maison sur la droite qui le rattache à une situation, mais le bout de toit de la maison ne reste pas longtemps dans le champ, laissant Dillinger seul dans le ciel immense et libre.
kc