vendredi 31 octobre 2008

2010 : The Year We Make Contact (Peter Hyams, 1984) : Faire avec l’héritage Kubrick

2010 est la suite de 2001, l’odyssée de l’espace, où plutôt l’adaptation du livre d’Arthur C. Clarke (coauteur du scénario de 2001, dont il a tiré un livre et Kubrick le film), et qui à partir de 2001, a construit une tétralogie fabuleuse (2001, 2010, 2061, 3001).
Deux manières d’appréhender le film : en tant que film de SF autonome, et la plus évidente, comme une suite à un film de Kubrick, dont on peut penser qu’en amener une suite serait une gageure (Le fœtus cosmique va-t-il « téléphoner maison ? »).

Faire une suite à un film de Kubrick peut donc sembler un pari fou et même une hérésie. Pourtant, la force de 2010 est de ne pas essayer de faire du sous-Kubrick, de tenter de battre le maître sur son terrain, mais bien d’être un film de son auteur, Peter Hyams, déjà réalisateur, en 1978, de Capricorn One (un chouette film sur le trucage d’une expédition américaine sur Mars). La bonne idée de Hyams, c’est donc de faire le film comme il sait les faire. Plus proche du film de genre, d’une facture plus classique, le film s’éloigne du style 2001, avec ses formes originales de vaisseaux, ses longs moments de silence, de contemplation, et une narration elliptique complexe. Bien que Hyams cède à ces sirènes à quelques moments (l’apparition de Dave dans le Discovery, qui rejoue un peu difficilement la fin de 2001 et la merveilleuse séquence du vieillissement de ce dernier, effet qui ici n’a pas trop de justification ; le son de la respiration des astronautes et cosmonautes qui rythme leurs sorties spatiales ; la musique parfois), il s’en échappe dans le reste, et s'oppose au style de son prédécesseur : le design du vaisseau russe qui embarque la mission de secours, le Leonov, qui ressemble plus au Nostromo d’Alien, qu’au Discovery de 2001 ; l’action plus présente et au rythme plus soutenu (le suspense de la stabilisation orbitale autour de Io, l’échappée de Jupiter qui s’effondre sur elle-même) ; la prise en compte du contexte politique de la guerre froide. Surtout, il y a beaucoup plus de dialogues, ce qui humanise les personnages. Par ce fait [1], le film crée des moments passionnels qui pourraient difficilement être dans 2001 : par exemple la très belle séquence des adieux de Dave à sa femme restée sur Terre, par l’intrusion d’un signal télévisé, ou quand Flood et une cosmonaute, alors encore étrangers l'un de l'autre, se prennent dans les bras, pour trouver une chaleur face à la peur de la mise en orbite. Enfin, la « gueule » burinée, tanée de Roy Scheider, à elle seule, porte la figure du héros classique du cinéma de SF, une figure rassurante face aux dangers de l’inconnu (Roy Scheider, c’est celui qui a vaincu le requin des Dents de la mer en 1975).

Le personnage central du film est, de ce point de vue (celui de la transition entre Kubrick et Hyams), le Discovery, le vaisseau de 2001, resté en orbite autour de Io. Quand les astronautes rentrent pour la première fois dedans, le décor nous rappelle au film de Kubrick, devenu un vestige poussiéreux que l’on tente de ranimer afin de percer son mystère et celui du monolithe. Ce sont les costumes, accrochés au mur, restés à l’identique, la salle de contrôle cylindrique, bref les décors mis au point par Kubrick, et enfin HAL : on y est mais ce n'est plus pareil.
Si parabole il devait y avoir, elle serait à la fin du film : Quand le Discovery, et HAL se sacrifient pour réexpédier le Leonov vers la Terre. Le vaisseau de 2001 sert alors de démarreur, en consumant le peu de carburant qui lui restait pour renvoyer le Leonov, qui n’en avait pas assez, car partant d’une fenêtre de lancement avancée en urgence. Puis le Leonov se désengage du Discovery qui ne peut terminer son voyage avec la charge de ce dernier, l’abandonnant pour toujours à Jupiter. C’est sans doute ici que l’héritage de Kubrick est consumé et remercié, avec le Discovery, devenu une relique, qui a servi à donner l'élan salvateur au Leonov. Peter Hyams prend appui sur le récit que Kubrick avait magnifiquement amené à l’épuration métaphysique, pour repartir vers un film traité de manière plus intelligible (voir l’épilogue), pour faire son film. Le relai est passé, la cérémonial a eu lieu et le fantôme de Kubrick peut quitter le film.

La mise en scène se concentrant plus sur les relations humaines, le film creuse désormais une nouvelle idée géniale : montrer l’influence de conflits sur des personnages qui en sont infiniment éloignés, par des millions de kilomètres, et comment y échapper : comment le grandiose de l'univers finit par effacer cette bêtise
(en l’occurrence la guerre froide encore d’actualité à l’époque de la sortie du film). C’est une autre approche pour montrer la petitesse de l’Homme dans un si grand univers, plus terre à terre, mais tout aussi efficace. Dans cette veine, ce sont aussi les objectifs qui diffèrent : alors que dans 2001, l'expédition va au-delà de l'univers (la "métaphysique"), dans 2010, les personnages veulent juste rentrer sur Terre, à la maison. Question d'époque ? [2]
Un passage de témoin qui n'était pas facile, donc, et tenter le coup de faire un demi-tour n’était pas la moindre des choses, voire en soi, déjà une réussite.

kc

1. Dans 2001, les personnages ont l’air d’automates trop occupés par leurs tâches pour avoir des sentiments et rendent HAL plus humain qu’eux.
2. En 1968, année de sortie de 2001, les idéaux, et préoccupations n'étaient pas les mêmes qu'en 1984.



En aparté : Roy Scheider en short


Au passage, Roy Scheider est sans doute l'acteur à qui le short (court) sied le mieux (voir par exemple 2010, Jaws, Jaws 2, Seaquest). Le short, porté par lui, est comme une promesse d’harmonie d’un homme bien dans son corps, et plus ancré que n’importe qui d’autre dans la Nature. En effet, il a joué assez souvent le rôle d’homme qui s’intéresse aux grands espaces (l’Océan, le système solaire) plutôt qu’aux problèmes « humains » créés par ces derniers (par exemple son désintérêt dans 2010 pour la guerre froide sur le point d’exploser), et qui réclament une certaine diplomatie, et donc un style vestimentaire plus strict. Son teint mat et son corps sec, que révèle son style « balnéaire » (le short) donne l’impression de voir un homme sculpté par les éléments desquels il est en contact quasi-permanent (l’eau salée, le vent, les rayons solaires), et nous rappelle notre condition relationnelle et vitale à la Nature (l’ensoleillement, l’eau, l’oxygène, etc.). Il est l'incarnation de cette idée que nous sommes composés de « poussières d'étoiles ».